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Retrait du Traité sur la Charte de l'Energie : derrière l'annonce, la réalité du risque juridique et économique encouru par la France (Article Actu-Juridique.fr et Petites Affiches)

Retrait du TCE : derrière l’annonce, la réalité du risque juridique et économique encouru par la France.

Le 21 octobre dernier, alors que s’achevait le Sommet du Conseil Européen à Bruxelles, Emmanuel Macron annonçait le retrait envisagé de la France au Traité sur la Charte de l’Energie.

Partout en France, les commentateurs, les médias, et certaines personnalités politiques ou activistes environnementaux se sont réjouis de cette nouvelle, s’empressant de déclarer qu’il s’agissait d’une « Immense Victoire »

Pourtant, derrière les effets d’annonce, et le signal incontestablement positif envoyé par cette décision, une autre réalité, celle du risque juridique et économique encouru par la France en cas de retrait unilatéral du traité.

Histoire et Fondements du TCE

Entré en vigueur en 1998, le Traité sur la Charte de l’Energie (TCE) est issu de la déclaration politique adoptée à La Haye en 1991, la « Charte européenne de l’Energie », qui annonçait l’engagement de négocier de bonne foi un traité juridiquement contraignant.

La France l’a ratifié en 1999 et il compte aujourd’hui 54 Etats Parties qui ont entendu se soumettre à ses dispositions contraignantes de droit international.

Méconnu jusqu’à peu, le TCE est le seul accord multilatéral d’investissement spécifique au secteur de l’énergie, qui en couvre tous les aspects majeurs : la production, le stockage, le commerce, le transport, l’investissement, et même, les questions liées à l’efficacité énergétique. Ses dispositions en matière de promotion et de protection des investissements du secteur énergétique sont contraignantes pour les Etats Parties.

A sa rédaction, l’objectif était de faciliter les transactions et les investissements dans le secteur en réduisant notamment les « risques » politiques, donc législatifs et réglementaires.

L’outil principal pour y parvenir a consisté en l’introduction d’un mécanisme de règlement des différends, entre Etats Parties (Article 27), mais surtout, entre investisseurs et Etats Parties (Article 26). Le règlement des différends investisseurs-Etats (« RDIE ») permet aux premiers, qui allèguent un manquement de l’Etat à une obligation du traité s’agissant d’un investissement réalisé sur son territoire, de soumettre leur différend aux juridictions judiciaires ou administratives dudit Etat, ou de recourir  à l’arbitrage international. Dans les faits, c’est quasi systématiquement cette seconde option qui est retenue.

De cette sorte, il s’agissait de s’assurer que l’objectif de maintenir un cadre réglementaire et légal stable, prévisible et transparent pour les investisseurs du secteur, pourrait être atteint en requérant des Etats contractants qu’ils paient une compensation contre tout ce qui pourrait être qualifié d’expropriation directe ou indirecte.

Une remise en cause progressive.

Depuis plusieurs années désormais, le Traité sur la Charte de l’Energie essuie de nombreuses critiques du fait, principalement, de l’obstacle et de la menace qu’il constitue face aux efforts déployés ou à naître des Etats en matière de transition énergétique dans le but d’enrayer les effets du changement climatique.

Au centre de ces critiques, le mécanisme de règlement des différends investisseurs-Etats apparaît comme s’attaquant désormais directement à la souveraineté des Etats pour l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques énergétiques et climatiques. 

Les recours, déclenchés par les investisseurs à l’encontre des Etats Parties, se multiplient à mesure que ces derniers tentent d’intervenir et donc, de légiférer dans ces domaines.

Deux exemples récents ont déjà fait couler beaucoup d’encre : il s’agit des recours introduits par les sociétés allemandes « RWE » et « Uniper » qui ont toutes deux introduit une procédure d’arbitrage contre les Pays-Bas devant le CIRDI (Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements) afin d’y contester les conséquences, sur certains de leurs investissements, de la décision de l’Etat d’interdire progressivement la production d’électricité à partir du charbon.

Pour autant, de trop nombreuses analyses sont parfois facilement tombées dans la caricature : celle du « méchant », l’investisseur, insoucieux des questions environnementales, faisant face au « gentil », l’Etat, tentant de réglementer sur ces questions. La réalité est souvent plus complexe, comme l’explique assez simplement l’un des propos introductifs de la requête en arbitrage soumise par les sociétés RWE dans l’affaire précitée :

« Le différend ne porte pas sur l’existence du changement climatique et de ses conséquences, ni sur le fait de contester la nécessité de réduire les émissions de CO2. Il s’agit de répondre à la question très élémentaire de qui devrait supporter les conséquences financières liées à un changement fondamental de politique :

- L’Etat qui prétend agir pour le bien commun et réalise une réduction de CO2 sans frais, ou

- L’investisseur qui s’est appuyé sur des promesses, des déclarations de politique, et des autorisations au moment de décider d’investir des milliards dans l’une des centrales au charbon les plus modernes d’Europe, voire, de la planète ? ».

Les choix en investissements de certaines sociétés pourraient certainement être commentés, parfois critiqués. Néanmoins, il arrive que, du point de vue de l’investisseur, certaines décisions étatiques n’aient pas pu être anticipées. Leurs conséquences, dès lors, peuvent prendre la forme d’une expropriation (même indirecte), condamnable sur la base du droit international des investissements.

Malgré tout, ces différends, menés à l’échelle du droit international, sont désormais de plus en plus inconciliables avec les ordres juridiques internes des Etats Parties, et tout particulièrement, des Etats membres de l’Union Européenne. 

De manière presque bipolaire, à l’échelon national, les Etats – au premier rang desquels, la France – sont de plus en plus condamnés pour leur inaction en matière environnementale.

Les procès dits « climatiques » s’y multiplient, s’appuyant désormais sur différentes sources juridiques, des dispositions appartenant au domaine du droit de l’environnement national, ou européen.

En France, le juge administratif a ouvert la voie à la responsabilisation de l’Etat en la matière. La décision du Conseil d’Etat du 1er juillet 2021 « Commune de Grande-Synthe » a condamné l’Etat à prendre « toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national ». 

Le jugement du Tribunal Administratif de Paris du 14 octobre 2021 dans l’affaire dite « Du Siècle » a quant à lui ordonné au Premier Ministre et aux Ministres compétents de prendre toutes les mesures sectorielles utiles de nature à réparer le préjudice causé au climat par le dépassement du plafond des émissions de gaz à effet de serre fixé dans le budget carbone. L’intérêt fondamental du jugement reposait dans la qualification de ce « préjudice écologique ».

Le juge constitutionnel, lui, est désormais bien plus enclin à donner aux dispositions de la Charte sur l’Environnement et de son Préambule toute leur portée constitutionnelle. 

A l’échelle nationale, dès lors, les gouvernements doivent désormais composer avec différentes sources de « pression » s’agissant de leur (in)action en matière climatique : celle de l’opinion publique et de la société civile, et plus récemment donc, celle du contentieux juridictionnel.

L’ensemble de ces éléments donnent davantage de répercutions aux avis émis par le Haut Conseil pour le Climat – une instance consultative placée auprès du Premier Ministre –, et donc à celui, rendu le 19 octobre dernier, qui se prononce en faveur d’une sortie de la France du TCE, un « retrait coordonné du TCE par la France et les Etats Membres de l’UE ».

Au niveau international et européen également, des engagements de plus en plus nombreux viennent contredire les objectifs du TCE. Il s’agit bien évidemment de l’Accord de Paris (dont le caractère contraignant est cependant contesté), mais également de certaines dispositions du droit dérivé de l’Union Européenne qui dispose d’une compétence partagée avec ses Etats membres sur ces questions.

La Cour de Justice de l’Union Européenne a ainsi dû construire une jurisprudence autour de l’articulation entre ses propres mécanismes de règlement des différends et ceux, intégrés dans les instruments internationaux de protection des investissements. Conformément à la direction qu’elle avait déjà empruntée, elle a notamment déterminé que l’article 26 du TCE (règlement des différends investisseurs – Etats) devait être interprété de manière à ne pas s’appliquer aux litiges intra-européens car ce faisant, il y aurait une atteinte à l’autonomie du droit de l’Union Européenne.

Pour autant, et alors qu’environ deux-tiers des litiges générés par le TCE sont intra-européens, rien n’oblige les tribunaux arbitraux saisis d’un tel différend à reconnaître et à appliquer la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne. 


L’ensemble de ces constats conduisent à la conclusion évidente d’une  inconciliabilité entre les ordres juridiques nationaux, l’ordre européen, et international sur ces enjeux. Le retrait du TCE semble alors se justifier.


Quelles solutions pour un retrait ?

En droit international, le retrait unilatéral d’une Partie à un traité s’apparente à une « dénonciation ».

L’article 54 de la Convention de Vienne sur le Droit des Traités (CVDT) précise qu’un Etat peut se retirer d’un traité dans la mesure où il respecte les règles spécifiques établies par les dispositions dudit traité pour le retrait.

Au sein du TCE, ces règles figurent à l’article 47, qui prévoit que le retrait pourra se faire par notification écrite de la partie contractante et prendra effet une année après la date de réception de la notification.

Le bât blesse avec la suite de l’article : le paragraphe 3 de l’article 47 dispose d’une « clause de survie » qui se déclenche au retrait de l’Etat Partie contractant et qui prévoit que les dispositions du traité continuent de s’appliquer à tous les investissements précédemment protégés, sur une période de vingt ans. En d’autres termes, l’ensemble des investissements opérés avant la prise d’effet du retrait pourront continuer de bénéficier de la protection du traité, y compris donc, de son mécanisme de règlement des différends sur cette période particulièrement longue.

Le retrait d’un Etat, qui déclenche la « clause de survie » de l’article 47§3 du traité serait de nature alors à déclencher de nouveaux différends avec les investisseurs installés sur son territoire, pressés de défendre leurs droits protégés par le traité avant l’extinction définitive de la clause.

Cette hypothèse s’est confirmée à travers le cas de l’Italie. Depuis son retrait du TCE, effectif depuis le premier janvier 2016, le pays voit se multiplier les recours d’arbitrage au titre de la clause de survie : on en dénombre déjà quatre devant le seul CIRDI. 

Si elle se retire de la même façon, la France, qui a récemment connu son premier cas rendu public de différend porté sur la base du TCE, ne devrait donc pas être épargnée.

Une autre option se présente pour les Etats Parties qui souhaiteraient se retirer sans en avoir à subir les conséquences : la « neutralisation » indirecte de la clause de survie, une pratique évolutive que l’on voit se développer dans le cadre des traités bilatéraux d’investissement, et qui consiste à amender le traité pour la disposition qui pose problème, ou tout bonnement, à négocier un nouveau traité qui éteindra et remplacera le premier.

Dans cet esprit, et face aux pressions qui se multipliaient, l’Union Européenne, Partie à part entière du TCE, a participé à son projet de « modernisation » engagé par le Secrétariat de la Charte de l’Energie depuis 2017. La Commission Européenne, qui bénéficiait à ce titre d’un mandat accordé par les Etats Membres, a conduit les négociations pour l’ensemble de ces derniers. 

A l’issue de pas moins de 15 cycles de négociations dont le dernier s’est conclu en juin de cette année, les Parties contractantes sont parvenues à un accord de principe dont les principaux éléments ont été révélés par le Secrétariat. Le texte final du traité amendé devra quant à lui faire l’objet d’un accord final lors de la prochaine Conférence sur la Charte de l’Energie, le 22 novembre.

Certains des points d’accord ayant été obtenus ont été défendus par l’Union Européenne. Il s’agit en somme : 

- D’un mécanisme volontaire de « flexibilité » qui propose de mettre fin à la protection de nouveaux investissements liés aux combustibles fossiles à compter du 15 août 2023, incluant une période de transition pour les investissements existants dont la protection sur les territoires des Etats y ayant souscrit serait maintenue pendant dix années à compter de l’entrée en vigueur du traité modernisé. Le mécanisme se projette donc au-delà de l’échéance de 2030.

- D’un mécanisme de « révision » qui propose à intervalles de cinq ans, de réexaminer la liste des matières et produits énergétiques couverts par le TCE, ainsi que l’application du mécanisme de flexibilité.

- D’un article « Organisation d’Intégration Economique Régionale » qui correspond en partie à la proposition initialement portée par la Commission Européenne. Là où l’objectif était pour elle d’obtenir la non-applicabilité complète du TCE dans les rapports intra-communautaires, le texte issu des négociations prévoit l’introduction d’un nouvel article au Traité qui précise que les articles 7 (transit), 26 (RDIE), 27 (Règlement des différends entre Etats), 29 (dispositions provisoires concernant les matières liées au commerce), ne pourront pas s’appliquer aux Etats membres de la même organisation régionale, en l’occurrence, de l’UE.

Plusieurs conclusions peuvent déjà être tirées du texte des amendements proposé à la conclusion.

Déjà, - et sans compter la date réelle de ratification du texte final – le calendrier proposé par le nouveau mécanisme de flexibilité renvoie au-delà de l’échéance de 2030 initialement posée par l’Accord de Paris pour le désinvestissement (public et privé) dans les infrastructures énergétiques fossiles, incluant notamment la fin de l’exploitation des centrales à charbon à cette même échéance.

Ensuite, le texte ne met pas un terme définitif à la « clause de survie » de l’article 47§3. Bien que le nouvel article « Organisation d’Intégration Economique Régionale » écarte l’application du mécanisme de règlement des différends investisseurs-Etats dans les rapports entre Etats de l’Union Européenne et donc par extension, la capacité de ces mêmes investisseurs de se prévaloir devant les instances arbitrales du moyen tiré d’une telle clause en cas de retrait d’un Etat Membre, il ne semble pas exclure la possibilité pour les investisseurs des Etats tiers d’agir. 

Si l’un ou plusieurs Etats Membres souhaitaient se retirer définitivement du traité, ils continueraient de s’exposer au risque de différends introduits par des investisseurs de nationalité des Etats tiers Parties au traité, ou de différends soumis à l’examen de Cours et Tribunaux judiciaires ou arbitraux siégeant en dehors des territoires de l’Union Européenne.

Ajoutons que ce scénario est le plus optimiste, dans la mesure où le TCE prévoit à son article 12 que tout texte d’amendement(s) proposé doit être voté à l’unanimité. Si le texte proposé parvenait à réunir l’unanimité, il devrait ensuite être ratifié par au moins trois quarts des Parties signataires pour entrer en vigueur. 

L’ensemble de ces constats nous pousse à dire que dans le cadre du TCE, l’amendement est de manière générale difficilement concevable.

S’ils souhaitaient se défaire de la clause de survie, pour envisager ensuite leur retrait unilatéral, les Etats Membres de l’Union Européenne pourraient alors envisager une solution parallèle : la « modification » du traité, applicable dans leurs relations mutuelles. Définie par l’article 41 de la Convention de Vienne sur le Droit des Traités, la « modification » s’applique entre les Parties qui y ont convenu, les dispositions originelles demeurant applicables entre les autres Parties contractantes.

On pourrait alors considérer que les conditions énoncées à l’article 41 sont réunies pour procéder à une telle « modification » ou accord « inter se », permettant au moins de mettre un arrêt immédiat à la clause de survie et donc à son invocabilité entre Etats et investisseurs de l’Union Européenne. Si d’autres Etats contractants hors UE se joignaient à cette modification, le risque de règlement des différends investisseurs-Etats contre de nouvelles actions en faveur du climat serait encore plus faible.

Alors, l’annonce du retrait unilatéral de la France préjuge-t-il d’un « non » au vote du texte « modernisé »  qui sera proposé à la Conférence de la Charte de l’Energie le 22 novembre prochain ? 

Auquel cas, est-elle consciente du risque économique auquel elle s’expose, s’agissant du nombre de différends à naître sur le moyen tiré de la clause de survie du TCE ?

Quelle que soit la réponse, cette annonce, dans un contexte marqué par l’incapacité des Etats Membres à trouver de véritables accords sur les sujets énergétiques liés à la crise (au cœur desquels, l’accord sur le prix du gaz), sonne encore comme une nouvelle tentative loupée d’action coordonnée de l’Union Européenne.

LAURA PETIOT

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