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Démantèlement du droit social : de nouvelles réformes sont annoncées pour l'horizon 2026.

Le constat du démantèlement du droit social.

Le droit social, longtemps érigé en pilier de la protection des salariés en France, connaît depuis plusieurs années une succession de réformes profondes qui en altèrent la cohérence et la lisibilité.

Sous l’effet de réformes en cascade portées par les gouvernements successifs, il semble chaque jour se déstructurer au profit d’un modèle social français de plus en plus difficile à définir. Soumis à des révisions incessantes portées par les gouvernements successifs, il se délite progressivement, rendant de plus en plus incertaine la définition même du modèle social français.

Un terme s’impose désormais pour qualifier ce mouvement : l’instabilité. Depuis la loi El Khomri du 8 août 2016 (n° 2016-1088), suivie des ordonnances Macron de 2017 (n° 2017-1385 à 1389), puis des réformes plus récentes relatives à l’assurance chômage ou au partage de la valeur, le Code du travail n’a cessé d’être remodelé, souvent au gré de considérations conjoncturelles plus que structurelles.

Cette instabilité normative, accentuée par l’intervention croissante du gouvernement par la voie réglementaire, déstabilise non seulement les salariés, mais également les entreprises, leurs services de ressources humaines et les instances représentatives du personnel.

À cette incertitude s’ajoute une instabilité fiscale, de plus en plus contestée par les entreprises, qui y voient un frein à la prévisibilité et à la sécurité de leur environnement juridique. L’ensemble contribue à brouiller la lisibilité du cadre normatif applicable aux acteurs économiques et obère leur capacité à se projeter dans l’avenir. Les entreprises – et tout particulièrement les TPE et PME – se trouvent ainsi enfermées dans un horizon de court terme, incompatible avec toute stratégie d’innovation ou d’investissement durable.

Quelques exemples suffisent à illustrer ce constat.

Depuis 2024, un salarié en CDD ou en mission d’intérim qui refuse deux propositions successives de CDI, formulées conformément aux articles L.1243-11-1 et L.1251-33-1 du Code du travail (introduits par la loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022), s’expose à la suspension de ses droits à l’assurance chômage, conformément à l’article L.5422-1 du Code du travail. Une exception existe toutefois : elle concerne les salariés ayant occupé un CDI au cours des douze derniers mois ou lorsque la proposition refusée ne correspond pas à leur PPAE (Projet personnalisé d’accès à l’emploi). Le décret d’application n° 2023-1307 du 28 décembre 2023 impose à l’employeur de notifier tout refus à France Travail dans un délai d’un mois, après une proposition formalisée par lettre recommandée avec accusé de réception ou tout autre moyen offrant date certaine. Ce dispositif, vivement contesté par les syndicats, a été validé par le Conseil d’État le 18 juillet 2025, renforçant ainsi la portée contraignante de cette nouvelle obligation.

Les dispositifs fiscaux incitatifs à l’innovation, tels que le crédit d’impôt recherche (CIR), prévu aux articles 244 quater B et suivants du Code général des impôts (CGI), et le crédit d’impôt innovation (CII), intégré depuis 2013 au CIR à l’article 244 quater B, IV du CGI, sont maintenus, mais ont fait l’objet de révisions répétées. Le CIR permet aux entreprises de déduire de leurs impôts une partie des dépenses engagées en recherche et développement, tandis que le CII vise spécifiquement à soutenir les dépenses liées à l’innovation, telles que le prototypage ou le développement de nouveaux produits. Certaines évolutions, parfois différenciées selon les régions, ont été mal anticipées : le taux du CIR, par exemple, a été abaissé de 30 % à 20 % pour certaines tranches de dépenses. Ce climat d’incertitude réduit l’efficacité du dispositif et fragilise le dynamisme des entreprises, contraintes de fournir un effort permanent pour préserver leur capacité d’innovation.

La loi n° 2023-1107 du 29 novembre 2023, relative au partage de la valeur au sein de l’entreprise, s’applique aux sociétés de 11 à 49 salariés. Inspirée du rapport « Giraud », elle impose la mise en place d’un dispositif de partage des bénéfices sur les trois derniers exercices, dès lors que le bénéfice net dépasse 1 % du chiffre d’affaires. Néanmoins, à compter de 2025, son non-respect ne sera pas sanctionné dans la pratique : le texte demeure partiellement facultatif, n’étant pas pleinement opposable aux entreprises et laissant une marge d’appréciation quant à l’organisation et à la déclaration des bénéfices. La réforme conserve ainsi un caractère contraignant limité, renforçant l’impression d’un droit en partie symbolique.

Par ailleurs, la hiérarchie des normes a été profondément bouleversée. Depuis 2017, l’accord d’entreprise peut prévaloir sur l’accord de branche, sauf pour quelques sujets jugés essentiels (salaires minimaux, égalité professionnelle, classification des emplois, etc.), toujours protégés par la branche. Ce renversement accroît la complexité du droit social et instaure une incertitude accrue pour les employeurs comme pour les syndicats, alourdissant un système déjà lourd et difficilement lisible.

Et maintenant ?

Cet été, le gouvernement a de nouveau envisagé une série de réformes qui promettent de bouleverser, une fois encore, le paysage du droit social français.

D’abord, les arrêts maladie, dont le cadre légal relève principalement du Code de la sécurité sociale (articles L.321-1 et suivants pour l’ouverture du droit aux indemnités journalières, et articles L.315-1 et suivants pour le contrôle médical), ainsi que du Code du travail pour la suspension du contrat de travail (article L.1226-1), feraient l’objet d’un encadrement drastique. Les arrêts prescrits par un médecin de ville seraient désormais limités à 15 jours, tandis que ceux consécutifs à une hospitalisation ne pourraient excéder un mois. Au-delà de ces seuils, l’intervention d’un « médecin-conseil » deviendrait obligatoire. Cette logique, qui assimile le salarié malade à un agent volontairement absent, pose une question fondamentale de discrimination pour état de santé : le malade est traité comme un salarié « démissionnaire » ou « non volontaire », réduisant sa protection à une simple présomption de suspicion. (Voir sur le même sujet la réforme envisagée des jours de carence pour les salariés du privé, analysée dans un article précédent.)

Par ailleurs, les arrêts de longue durée liés à certaines affections chroniques (ALD non exonérantes), qui pouvaient atteindre jusqu’à trois ans conformément aux articles L.323-1 et L.324-1 du Code de la sécurité sociale, seraient purement et simplement supprimés. Pour les salariés concernés, cette évolution constitue un recul majeur de la protection sociale, transformant la maladie en un facteur de vulnérabilité économique. Pour les employeurs, elle impose une gestion complexe des absences prolongées : retour anticipé, réorganisation des postes, voire reclassement, au prix d’une tension accrue sur l’organisation du travail.

Ensuite, le contentieux prud’homal serait affecté par un raccourcissement drastique des délais de recours. Le délai de contestation d’un licenciement pourrait être réduit de 12 à 6, voire 4 mois, restreignant de manière significative l’accès des salariés à la justice.

Par ailleurs, le gouvernement envisage de réformer une nouvelle fois les règles de l’assurance chômage, en excluant explicitement la rupture conventionnelle de ce bénéfice. Concrètement, les salariés qui concluraient une rupture conventionnelle se verraient privés des allocations chômage, alors même que les cotisations continueraient à être prélevées sur leurs revenus, sans réduction ni compensation. Cette mesure décourage l’usage de la rupture conventionnelle et contraint employeurs et salariés à recourir à des modes de rupture du contrat de travail plus conflictuels.

Dans leur ensemble, ces mesures affaibliraient radicalement la protection sociale française et plongeraient salariés et entreprises dans une incertitude chronique : les premiers se voient privés de droits essentiels, tandis que les seconds peinent à déployer les moyens nécessaires pour se conformer à des règles sans cesse révisées. Les services RH, les directions et les instances représentatives du personnel se retrouvent débordés, incapables de suivre la complexité et le rythme effréné des réformes, ce qui fragilise l’organisation du travail et accroît le risque de conflits internes.

En conclusion.

Les réformes successives du Code du travail participent à un processus général de démantèlement graduel du modèle social français. Elles intensifient l’instabilité normative, complexifient le droit du travail et diminuent les protections sociales sur de multiples fronts : contrats et hypothèses de suspension, chômage, régime du licenciement... Cette progression installe une incertitude permanente pour salariés et employeurs, fragilise la communication sociale et érode la confiance des acteurs économiques, freinant in fine l’investissement, l’innovation et l’emploi.