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Mandat d’arrêt international à l’encontre de Vladimir Poutine : quelles conséquences dans la pratique ? (Article Contrepoints)

Le vendredi 17 mars, un peu plus d’un an après le début de l’offensive militaire russe en Ukraine, la Cour Pénale Internationale a émis deux mandats d’arrêt[1] : l’un contre la commissaire présidentielle aux droits de l’enfant en Russie, Maria Alekseyevna Lvova-Belova, l’autre contre le Président russe Vladimir Vladimirovitch Poutine.

C’est parce qu’elle est convaincue qu’il y a « des motifs raisonnables de croire »[2] que Mme Lyova-Belova et Monsieur Poutine ont commis des crimes de guerre consistant dans la déportation et le transfert illégaux d’enfants ukrainiens, que la Chambre préliminaire II de la Cour, sur requête du Procureur, a délivré les deux mandats.

La Cour Pénale Internationale ne dispose pas de police pour exécuter ses mandats d’arrêt. Il relève en effet désormais de la responsabilité des Etats parties au Statut de Rome[3] (ils sont 123), d’exécuter ces mandats en arrêtant et en remettant à la Cour les personnes visées qui se trouveraient sur leur territoire[4].

Si, sans surprise, la Russie – qui n’a pas ratifié le Statut de Rome – a réagi immédiatement en niant toute valeur juridique aux mandats d’arrêt, les enjeux politiques et juridiques d’une telle décision prise à l’encontre d’un chef d’Etat en exercice, dont le pays est membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies et optionnellement, première puissance nucléaire mondiale, sont majeurs.

Alors, cette décision pourra-t-elle avoir un impact sur la diplomatie russe, pendant, et après le conflit russo-ukrainien ?

Quelle sera sa portée réelle sur l’exercice, par le Président russe, de son autorité ?

 Rappel de droit et procédure devant la CPI :

Si les mandats ne seront pas rendus publics pour des raisons tenant à la protection des victimes et des témoins, ainsi qu’à la sécurité des investigations, la Cour Pénale Internationale a porté à la connaissance de tous un certain nombre d’éléments.

Vladimir Poutine est accusé d’avoir commis directement, et conjointement avec d’autres personnes ou par leur intermédiaire[5] la déportation et le transfert illégaux de plusieurs centaines d’enfants enlevés à des orphelinats et à des maison d’accueil , lesquels auraient été donnés à l’adoption en Russie suivant un processus de « russification », en violation totale des dispositions du Statut de Rome[6] qui énumère la liste des infractions graves constitutives de crimes de guerre d’après la quatrième Convention de Genève[7]. D’autre part, le Président russe est également accusé de n’avoir pas exercé le contrôle qui convenait sur les subordonnés placés sous son autorité et son contrôle effectifs, ayant commis les mêmes crimes ou permis leur commission[8].

La compétence de la Cour Pénale Internationale s’exerce lorsqu’un Etat concerné – ici la Russie – est dans l’incapacité, ou n’est pas disposé à mener véritablement à bien des enquêtes et de traduire en justice les auteurs des crimes les plus graves touchant l’ensemble de la communauté internationale.

Lorsque de tels faits se présentent, la Cour peut alors intervenir dans deux hypothèses : soit, l’auteur présumé est ressortissant d’un Etat partie au Statut de Rome, soit le crime a été commis sur le territoire d’un Etat partie. C’est dans ce cas précis, cette seconde hypothèse qui s’applique car l’Ukraine, bien qu’elle n’ait pas ratifié le Statut de Rome, a accepté la compétence de la Cour pour les crimes commis sur son territoire[9].

Dès lors que la compétence de la Cour pourrait s’exercer, le Procureur, Monsieur Karim Khan actuellement, dispose du pouvoir d’ouvrir une enquête, recueille et analyse les renseignements portés à sa connaissance. Il ne peut cependant émettre lui-même les mandats d’arrêt, et doit solliciter pour ce faire, l’une des deux Chambres préliminaires de la Cour. Sur requête du Procureur, la Chambre composée de trois juges examine la requête du Procureur et les éléments de preuve et renseignements qu’elle contient. Pour émettre un mandat d’arrêt, la formation devra être convaincue qu’il y a des motifs raisonnables de croire que la personne en cause a commis un crime relevant de la compétence de la Cour, et que son arrestation est nécessaire pour garantir qu’elle comparaîtra, ne fera pas obstacle à l’enquête ou à la procédure, ou ne poursuivra pas l’exécution du crime reproché[10].

L’émission d’un mandat d’arrêt est donc le résultat d’un processus relativement long, nécessitant qu’il soit produit un certain nombre d’éléments de preuve sur la commission des faits constitutifs du ou des crime(s) en cause, et en l’espèce donc, sur l’implication du Président Vladimir Poutine.

En outre, et pour bien comprendre la portée de cette décision, un certain nombre d’éléments doivent être pris en considération.

Il s’agit déjà de la nature des crimes en cause, qui, s’agissant d’enfants, est considérée comme particulièrement odieuse. Les enfants bénéficient d’ailleurs d’un statut particulier au sein de la quatrième Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre qui, rappelons-le, a été ratifiée tant par l’Ukraine que par la Fédération de Russie.

En identifiant le Président Poutine comme suspecté d’être l’auteur de crimes de guerre, commis à l’encontre d’enfants, la décision de la juridiction pénale internationale vient s’ajouter aux contradictions du discours russe cherchant à justifier l’agression ukrainienne en le décrédibilisant sur la scène internationale.

Le symbole est encore plus fort qu’aucun dirigeant d’un Etat membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies n’avait encore été poursuivi par la CPI.

D’ailleurs, souvent critiquée pour n’enquêter et ne poursuivre prétendument que des faits commis dans des Etats africains, la CPI démontre qu’elle peut être en mesure de s’intéresser aux faits commis par un chef d’Etat en exercice d’une grande puissance.

En outre, et pour la première fois dans l’histoire du droit international, il ne s’agit plus seulement de juger des faits a posteriori de leur commission dans le contexte d’un conflit armé, mais d’une certaine manière, d’intervenir pour faire cesser la guerre lorsque le crime d’agression constitué par l’invasion de l’Ukraine n’entre pas dans la compétence de la CPI, et que l’action du Conseil de Sécurité des Nations Unies est immobilisée.

Et concrètement ?

Passées les conclusions d’intérêt juridique, les mandats d’arrêt peuvent-ils réellement être suivis d’effets ?

123 Etats parties au Statut de Rome, parmi lesquels, certains des nouveaux partenaires développés par Moscou (le Mali, Le Ghana, le Burkina Faso…), et d’autres alliés plus historiques (la Serbie, le Tadjikistan, la Géorgie notamment), ont désormais théoriquement l’obligation d’exécuter les mandats de la Cour dès lors que les personnes visées se trouveraient sur leur territoire, et donc, de les arrêter, et de les remettre à la Cour dans la perspective de leur jugement[11].

Cette obligation pourrait faire craindre au Président Poutine et à sa commissaire présidentielle qu’ils soient arrêtés et remis à la Cour s’ils se rendaient dans un des Etats parties au Statut de Rome, et pourrait donc les dissuader de se rendre dans un grand nombre de ces pays, ou à limiter leurs déplacements dans les Etats où ils ont l’assurance de ne pas y être exposés.

Cependant, l’histoire de la CPI depuis quelques décennies nous a démontré qu’un Etat partie, bien qu’obligé par le Statut de Rome, peut préférer s’abstenir de procéder à une arrestation car ne risquant à cet égard qu’une condamnation sur le plan diplomatique : le fonctionnement de la CPI, et donc l’exécution de ses décisions, repose, avant tout, sur la coopération internationale.

Pour le Président Poutine, qui quitte – encore plus désormais – rarement la Russie, cette contrainte peut paraître bien anecdotique. Mais, dans un contexte où l’on imagine la guerre d’Ukraine terminée, elle pourrait néanmoins faire obstacle à la diplomatie russe sur la scène internationale, compliquer la présence du Président russe aux événements internationaux, y compris, aux groupes auxquels le pays prend éminemment part (Sommet des BRICS, Forum Russie-Afrique…).

Cette circonstance n’est sans doute pas de nature à impressionner le Président russe, mais l’isole tout de même un peu plus sur la scène internationale.

Néanmoins, si Vladimir Poutine a peu de chances de se voir arrêté, il est encore moins probable qu’il se trouve un jour, déféré devant la Cour pour répondre de ses crimes.

En outre, la Cour Pénale Internationale exclut clairement le jugement par contumace : l’article 63 du Statut de Rome, rejetant à ce sujet la position française à l’époque de la Conférence de 1998, prévoit que « l’accusé assiste à son procès ». Aucun procès ne peut donc débuter si l’accusé n’est pas arrêté, ou comparaît volontairement devant la Cour : huit accusés sont d’ailleurs actuellement en fuite malgré l’émission de mandats d’arrêt[12].

Alors, si la décision de la CPI est à la fois courageuse, et historique, sur le plan juridique et politique, qu’elle peut par ailleurs faire espérer que les enquêtes se poursuivent à la Haye devant les juridictions internationales, contre Vladimir Poutine et les dirigeants russes, la perspective de voir les mandats suivis d’effets concrets, et Vladimir Poutine répondre de ses crimes demeure très mince.

Elle conforte, cependant, la nécessité de doter la justice internationale des moyens de se substituer à la diplomatie lorsqu’elle est impuissante.

LAURA PETIOT

TOUS DROITS RESERVES

[1] Voir : Communiqué de Presse de la CPI du 17 mars 2023 : https://www.icc-cpi.int/fr/news/situation-ukraine-icc-judges-issue-arrest-warrants-against-vladimir-vladimirovich-putin-and

[2] Article 58 du Statut de Rome donnant compétence à la Chambre préliminaire de délivrer des mandats d’arrêt et des citations à comparaître.

[3] Entré en vigueur le 1er juillet 2002.

[4] Voir notamment, article 89 du Statut de Rome : « Les États Parties répondent à toute demande d'arrestation et de remise conformément aux dispositions du présent chapitre et aux procédures prévues par leur législation nationale. »

[5] Article 25(3)(a) du Statut de Rome.

[6] Articles 8(2)(a)(vii) et 8(2)(b)(viii) du Statut de Rome.

[7] Articles 49 et 147 de la Convention (IV) de Genève du 12 août 1949.

[8] Article 28(b) du Statut de Rome.

[9] Article 12(3) du Statut de Rome.

[10] Article 58 du Statut de Rome.

[11] Voir Articles 86 et 89 du Statut de Rome : « Les Etats parties répondent à toute demande d’arrestation et de remise (…) ».

[12] https://www.icc-cpi.int/fr/cases?cases_fulltext=&field_defendant_t=All&page=0